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ENTRETIEN. Parole de médiatrice.
Joanna Deneuve. Dominique Mattano est médiatrice sociale, spécialiste des affaires familiales à l’Ecole des Parents et des Educateurs, une association grenobloise. Elle a bien voulu nous parler de sa fonction mais aussi nous livrer son expérience auprès des familles qui viennent demander l’aide d’un tiers pour trouver une solution à leurs conflits.
« Quand je suis médiatrice, je ne suis ni psy , ni juriste »
Dominique Mattano
Mme Mattano, pouvez-vous nous parler de votre profession et de votre parcours ?
Je suis juriste de formation, c’est-à-dire que j’ai suivi un DEA en droit de la famille. J’ai ensuite travaillé dans un centre d’information sur le droit des femmes et de la famille en Haute-Savoie. Dans le cadre de ces fonctions j’ai accompagné et conseillé des femmes confrontées à des problèmes juridiques liés à des divorces difficiles avec des problèmes de garde d’enfant, de non paiement de pensions alimentaires ou de conflit qui perdure avec l’ancien conjoint. Je me suis rapidement rendue compte que le droit ne résolvait pas tout et que le jugement de divorce souvent était la cause d’un conflit qui perdurait longtemps après l’acte de séparation physique puis juridique.
Le droit n’est pas forcément suffisant.
Alors quand on a commencé, au début des années 1990, à parler de médiation familiale, je me suis tout de suite sentie intéressée par cette technique nouvelle. J’ai réussi à convaincre mon employeur de ses mérites et j’ai pu passer une attestation d’aptitude. A l’issue de ma formation, j’ai fait un stage à l’Ecole des Parents. Peu après, ils m’ont proposé des permanences téléphoniques pour fournir des conseils et ensuite un emploi.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le rôle du médiateur ?
Je dirais, avant tout, que c’est un accompagnement des personnes.
Je fais un bout de chemin avec elles à un moment qui est compliqué, lors d’un conflit, d’une rupture. Tout au long de ce processus, il faut comprendre les difficultés, comprendre à partir de ce que chacun exprime. em>
Ils ont une volonté de changement, de bouger, de résoudre. Mais, pour qu’il y ait une médiation, il faut convaincre l’autre. Il faut donc deux parties, c’est nécessaire pour que l’accompagnement se mette en place. Le médiateur est entre deux, ou entre quatre quand le conflit porte sur la relation entre parents et grands-parents.
Mais il ne faut pas oublier qu’on est toujours entre des personnes. Je me dois, d’ailleurs, d’avoir la même bienveillance à l’égard de chacun. Je ne juge pas, j’accompagne.
Il y a un code de déontologie que vous pouvez consulter. Il y a une éthique. Il faut tout d’abord respecter la volonté des personnes. L’autre principe important, c’est la confidentialité. C’est encore plus important quand c’est une médiation judiciaire parce qu’il y a une sorte de crainte que la parole soit utilisée dans la procédure judiciaire.
Expliquez-nous comment les familles arrivent à demander l’aide d’un médiateur. Est-ce facile ?
Le parcours pour arriver devant un médiateur est long et compliqué.
J’ai eu un papa qui s’est adressé au centre social qui l’a envoyé devant la mairie qui l’a enfin envoyé devant un médiateur/conciliateur. Je crois qu’il faut être très motivé pour y arriver… Parfois même, ils sont envoyés devant un conciliateur de justice (ndlr : un conciliateur peut conseiller les familles mais il n’a pas pour mission d’assister les parties à trouver, de manière durable, une solution). Or, il n’est pas compétent pour gérer les affaires familiales. Une médiation familiale c’est un processus, pas un seul entretien. Le conciliateur peut, par contre, en profiter pour les orienter vers le médiateur.
Si le juge, de plus en plus fréquemment, recommande aux familles d’avoir recours à la médiation, dans la plupart des cas, ce sont les parents eux-mêmes qui viennent vers nous. Mais je note que, peu à peu, les juges pensent plus souvent à la médiation comme une solution moins conflictuelle.
Ca veut dire que la médiation est un processus de
long terme ?
En moyenne, le processus prend 4 à 6 séances, parfois 10 si besoin est. La durée dépend aussi de la volonté des familles à engager un dialogue durable.
Le cout, ici, n’est peut-être pas le facteur principal puisque les médiateurs suivent un barème fixé par les CAF qui sont chargées d’agréer les services de médiation. Les tarifs fixés varient donc selon le revenu des familles et vont de 2 et 131 euros par séance.
Comment renoue-t-on le dialogue au sein d’une famille qui se déchire ? Avez-vous des techniques particulières ?
On commence par instaurer un climat dans la salle. Les personnes qui se sentent respectées vont parler d’elles, de leur vécu, de leurs griefs, leurs besoins. Par l’empathie, le médiateur démontre sa légitimité pour dire les choses.
On part des besoins des personnes, de ce dont elles ont envie pour assouvir leurs désirs et être bien. On fait des va et vient : « comment l’avez-vous entendu, comment vous pouvez y répondre ? ». En instaurant une parole libre et en encourageant les parties à s’écouter, à réapprendre et à se comprendre. Le but ultime est de parvenir à un dialogue.
Est ce que vous pensez qu’il est nécessaire d’adapter son comportement en fonction de certaines familles ?
On est dans le sur-mesure; En revanche, on a un processus type: l’exposition de l’histoire, la clarification des attentes, le travail sur les besoins, et enfin, les options possibles avec les avantages et inconvénients. C’est un schéma type qui s’adapte à chaque personne, à leur culture et leur milieu.
Si le dialogue est l’objectif, est-ce que l’on peut aussi considérer l’accord comme un but ?
L’accord n’est pas forcément l’objectif de toutes les personnes qui viennent à la médiation. Certaines sont très lucides et savent qu’elles ne vont pas aboutir à un accord. Elles cherchent plutôt à pouvoir se parler, s’expliquer, à rétablir une communication, ainsi des tas de choses se règleront d’elles mêmes. Si on ne se parle plus c’est parce qu’il y a de la méfiance. Les gens en sont souvent conscients. Ils veulent embêter l’autre. Mon premier rôle est de permettre la rencontre.
Est ce vous pourriez nous parler de certains cas qui vous ont le plus marqué ?
ouh, c’est dur …
Ce qui m’a marqué, ce sont les personnes qui arrivent à se passer de vous. Je pense à des gens qui ne se parlaient plus. Je leur présente la médiation et ils décident de s’engager. Au départ, l’atmosphère est lourde et les échanges sont bloqués par une méfiance réciproque. Mais, peu à peu, ces parents ont réussi à rétablir cette confiance, à reconnaître des choses négatives et à faire sans moi. Le cadre leur avait permis à réapprendre à communiquer, à écouter l’autre. Pour préciser la notion de confiance, c’est « j’ai confiance en ce que tu dis et ce que tu vas le faire, et je sais que tu vas respecter ta parole ». C’est celle-ci qu’il faut retrouver. On ne vient pas là pour devenir les meilleurs amis du monde, ou reprendre une vie commune. Mais parce qu’on est parents, on est contraint à rester en lien pour le bien-être des enfants. Ils viennent en se disant que grâce à ce lieu et au dialogue de la médiation, ils vont pouvoir garder un lien pour gérer la séparation.
Le juge a de plus en plus recours à vous, est-ce vous pouvez considérer la médiation comme une pratique efficace ?
Je refuse de penser sous cet aspect parce qu’il est difficile de mesurer ce processus. L’accord signé à la fin ne veut pas dire que les conflits sont tous résolus. En effet, certains accords ne sont que verbaux. Certains quittent la médiation en étant en désaccord mais parviennent à débloquer le dialogue après ce processus.
Si le recours à la médiation familiale est maintenant inscrit dans la loi, c’est avant tout pour désencombrer les tribunaux mais aussi parce que la décision du juge ne parvient pas à tout régler. Il faut responsabiliser les gens dans la recherche d’une solution qui leur est propre par le dialogue. Même lorsque c’est le juge qui les oriente, il faut que les parties soient volontaires. Devant le juge, les gens disent « oui » à la médiation mais sans savoir, ou sans être honnête, ou alors parce que l’avocat insiste et leur met la pression. Heureusement, il y a toujours un entretien explicatif, qui pose les principes où la condition principale est que les deux parties doivent le vouloir. Parfois ça fait tilt : ah bon, j’avais cru… parce que le juge ».
Par contre, certains sont convaincus, après coup par cette pratique dès lors qu’on leur parle de « liberté » de venir, de parler.
« C’est pas la vedette »
De quel domaine de formation proviennent les médiateurs en général ?
Il y a beaucoup de juristes. C’est une formation accessible aux personnes qui ont déjà eu une expérience professionnelle provenant de domaines très divers. En effet, il y a aussi des conseillers conjugaux, des enseignants, bref, une pluridisciplinarité. Cela permet d’avoir une approche différente telle que sociale, éducative, juridique.
Quel est le profil des médiateurs ? Faut-il être en possession de certaines qualités?
Certes, il y a des profils plus aptes à exercer la médiation que d’autres. Une qualité qui me semble très importante, c’est la tolérance parce que vous allez être confronté à pleins de gens qui ne pensent pas forcément comme vous, qui ont une autre culture, d’autres valeurs et il faut composer avec tous ces gens là. Il faut être capable de ne pas être dans le jugement. Il faut être capable de penser qu’il y a d’autres façons de faire qui sont respectables. Le médiateur a une place à occuper. Il se doit être présent pour garantir le dialogue et susciter la confiance des parties. Il mène les entretiens, rappelle les règles mais ce n’est pas la vedette. Il doit être en retrait, rappeler que les parents sont les mieux placés pour ce qui touche de leurs enfants et d’eux-mêmes. La médiation, c’est accepter qu’il y a un avant dont le but est un après mieux.
Selon vous, le diplôme d’Etat va t-il entrainer une restriction des postes ?
Il n’existe plus que deux centres de médiation sur cinq sur Grenoble et ses alentours. Tous les services de médiation sont proposés par des associations. Les associations demandent des aides. La Caisse des Affaires Familiales est celle qui finance le plus mais comme les financements sont en réduction, ceux qui financent ont décidé de privilégier la concentration des centres de médiation plutôt que de financer une pluralité de centres. Là est donc la difficulté pour les nouveaux diplômés, ce n’est pas le manque de médiateur mais plutôt le manque de poste. Moins de services veut aussi dire plus de difficulté pour trouver un rendez-vous ou un service proche de soi. C’est dommage de réduire l’offre.
L’avenir de la médiation…
Au final, est-ce que la médiation a un certain avenir ?
Je crois que la médiation est importante. On l’a vu se développer. En 1997, il y avait trois demandes par an. Aujourd’hui, on est parfois complet. Le développement est important, mais c’est encore une minorité de personnes qui passe par la médiation. La loi, en tout cas, n’a pas suscité le plus gros développement.
La médiation est-elle la solution dans une société qui a oublié les techniques du dialogue non-violent?
On ne nous apprend pas suffisamment le dialogue. Il faudrait réapprendre aux gens à dialoguer. On commence à sensibiliser les enfants et les grands à la nécessité du dialogue mais ce n’est pas dans notre culture. En cas de conflit, le réflexe des personnes c’est le recours à la justice, au tiers qui va trancher. Il faut apprendre à faire autrement. Quand on a un conflit, on cesse de se parler et on demande au juge de mandater le dialogue. La médiation c’est prendre le temps, donc c’est en marge de nos façons de faire où on se force à aller vite. La performance n’est pas une donnée pour la médiation.
L’école des Parents et des Educateurs se refuse de se considérer comme des sachants qui prescrivent. On ne va pas leur apprendre le dialogue mais leur dire que le dialogue c’est un moyen de résoudre les difficultés. Vous avez la capacité de faire des choses pour vous. L’école des parents et la médiation peuvent vous aider mais pas faire à votre place. On ne peut pas vous dire c’est bien ou c’est mal.